Created 12/03/2022 at 2022:08PM

Je

je suis un vieux prof de physique au cegep. Ma sœur est morte assassinée par son ex d’un coup de 12 pompeux dans le ventre. Ça fait pile 20 ans vendredi qui vient. C’est loin mais son absence m’arrache encore des sanglots. Ça fait 20 ans aussi que je veux crier au monde son talent. Crier au monde ma peine. Le gros rouleau de dessins que j’ai apporté au cegep, c’est un peu comme son corps que je viens déposer… un corps que je viens mettre en terre dans les corridors du cegep. En regardant le mur près de la COOP, dans ma tête ç’a fait «R’garde maman si c’est beau c’qu’a faite Isabelle! » Deux deuils, deux trous qui peut-être se refermeront ce décembre 2022.

Elle

elle a appris avant tout le monde, même avant ma mère, la venue de notre premier enfant. Elle avait accepté avec joie d’en être la marraine mais elle n’a jamais pris Ariane dans ses bras : Isabelle est partie trois semaines trop tôt. Elle s’est beaucoup cherchée dans la vie, elle a fait plusieurs DEC, plusieurs jobs. Ma mère et moi, on l’a toujours aimée mais, blessée, le manque d’estime de soi l’empêchait de rompre tôt des relations déjà néfastes, l’empêchait de s’assumer en tant qu’artiste : jamais elle n’exhibait ses dessins, jamais elle ne s’est inscrite dans un programme d’art visuel. Mais dans ses dessins comiques on voit qu’elle se guérissait, qu’elle se construisait. Le gros barbu, c’est son chum d’avant… À sa mort, elle avait un nouvel appart dans une maison de chambre sur Marchand, ça m’a fait plaisir de voir qu’elle s’était remise à la peinture. Un cadre de tests de couleurs était en train de sécher sur sa table : elle s’était réconciliée avec elle-même, avec son talent qu’elle allait affiner.